Les experts se cachent!
Où est donc Nicole Bacharan ? C’est la question que je me suis posée ce matin au réveil lorsque j’ai appris que Donald Trump allait s’asseoir dans le fauteuil du bureau ovale, à la Maison blanche. La spécialiste, l’experte, celle que l’émission C dans l’air invite à chaque fois qu’il est question de l’Oncle Sam, l’avait décrété : il était absolument, scientifiquement, impossible que Trump gagne les élections présidentielles. D’ailleurs, à l’écouter, il ne pouvait pas non plus gagner les primaires. C’était scientifique, là aussi. Je pensais que notre experte se cacherait dans un trou de souris et on m’a appris que Nicole Bacharan était conviée à commenter l’événement sur l’antenne de RTL. « Ce sont les sondages qui nous ont trompés ! ». Tiens donc ! Toute son expertise se basait sur les sondages ? En fait, Bacharan se moque du monde. Si les instituts annonçant la victoire de Trump étaient en effet minoritaires ces derniers jours, ils étaient largement majoritaires pour sa victoire aux primaires, quand elle expliquait de manière implacable que jamais les Républicains n’accorderaient l’investiture à cet OVNI politique. En fait, Madame Bacharan, avant d’être une experte, une scientifique, était surtout une militante. Il serait pourtant injuste de cibler uniquement l’experte de C dans l’air. Bernard-Henri Lévy a renouvelé « l’opération pronostic ». Avec la même assurance, il a expliqué en moins de six mois la veille des scrutins britannique et étatsunien que le Remain et Hillary seraient vainqueurs haut-la-main. Je me demande si Le Point osera publier ses prochains pronostics, notamment à l’occasion de l’élection présidentielle française. Au bout d’un moment, cela pourrait commencer à nuire à la crédibilité du journal. Dans la classe politique, on notera que les recommandations de Pierre Moscovici aux peuples avant qu’ils ne se prononcent conservent une efficacité limitée. Comme le rappelait Thomas Clavel dans ces colonnes, les déclarations imprudentes d’Alain Juppé et de Manuel Valls peuvent avoir des conséquences sur leur crédibilité. Quant à Nicolas Sarkozy, il tente maladroitement de faire oublier ses mots blessants pour le président élu par le peuple américain ainsi que son soutien affiché à Hillary Clinton. Ne désespérons pas, malgré tout. Il y a des gens qui ont fait leur boulot ces derniers mois. Saluons notamment notre consoeur Laure Mandeville, du Figaro, qui a réalisé un travail en profondeur. Ceux qui l’ont lue n’ont pas été étonnés ce matin. Constatons aussi la lucidité d’Ignacio Ramonet du Monde diplo, dont les analyses n’ont pas eu l’heur de plaire à la gauche de la gauche. Nos amis du Figaro Vox ont aussi ouvert leurs colonnes à des spécialistes moins connus mais à l’analyse plus affûtée, comme Lauric Henneton, professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. L’élection présidentielle française de 2017 est aujourd’hui plus ouverte que jamais. Jamais pronostic n’a été plus périlleux. Qui sait si on n’assistera pas à une surprise lors de la prochaine primaire de la droite et du centre, avec l’élection d’un troisième homme ? Qui sait si un vote anti-système ne permettra pas à Marine Le Pen de faire un sort au fameux plafond de verre ? Qui sait si ce vote anti-système ne trouvera pas un autre débouché que celui incarné par le vote frontiste et ne favorisera pas une victoire encore plus décoiffante, comme celle de Jean-Luc Mélenchon ou même de Nicolas Dupont-Aignan ? Qui sait si Emmanuel Macron, comme le milliardaire Trump, ne pourrait pas lui aussi être le réceptacle d’un tel vote ? Les peuples souverains ont décidé de reprendre le gouvernail. Que cela plaise ou non. Face à ce phénomène, nos classes médiatiques et politiques devraient faire preuve de modestie. Ils n’en ont pas manifesté à l’occasion du vote de 2005 en France, ni à l’occasion des scrutins grecs, ni à l’occasion du Brexit ou des élections autrichiennes. La victoire de Trump leur donne une nouvelle occasion. La dernière ?