Eviter le babyblues
Les bienfaits de la pleine conscience –forme de méditation issue du bouddhisme– sont depuis longtemps reconnus scientifiquement (notamment pour réduire le stress, et prévenir des rechutes dépressives), mais ils pourraient être encore plus nombreux qu’on ne le pense. Notamment pour lutter contre la dépression post-partum –ou baby blues. «Beaucoup de femmes sont angoissées à l’idée d’accoucher» explique le Guardian avec une très grande perspicacité. «Cette peur peut prolonger la durée du travail d’accouchement, augmenter le besoin de soulager la douleur, augmenter la probabilité d’une césarienne, et augmenter le risque de dépression post-partum. Le mois dernier, un petit essai clinique randomisé contrôlé a donné des preuves supplémentaires qu’enseigner la pleine conscience aux femmes enceintes pouvait réduire ces risques.» Larissa Duncan, docteure, professeure associée dans le développement humain et les études familiales, à l’Université du Wisconsin-Madison, se basant sur les nombreuses recherches montrant comment la pleine conscience pouvait lutter contre la dépression et l’anxiété, a émis une hypothèse: la pleine conscience devait aussi pouvoir protéger la santé mentale des parents. 30 femmes dans leur troisième trimestre de grossesse ont donc été dirigées au hasard dans un programme de pleine conscience ou dans des cours d’accouchement traditionnels. Et les femmes du groupe de pleine conscience avaient de taux de dépression post-partum plus bas. L’étude est faite sur une faible cohorte, mais elle confirme l’intuition du docteure Duncan. Celle-ci estime par ailleurs que les bienfaits de la méditation peuvent être utiles après la naissance, dans l’éducation du nouveau-né. «En utilisant la pleine conscience pour travailler sur les contractions, pendant le travail, on apprend à noter les moments de confort entre les moments de douleurs, et les nouveaux parents peuvent alors acquérir une compétence utile plus tard: quand il faut supporter les pleurs du bébé, et les caprices des tous petits». Au-delà de la grossesse et de l’accouchement, la méditation de pleine conscience est une pratique qui a pris une immense ampleur ces dernières années. Le Monde en attestait dans un article de 2015 en énumérant quelques chiffres du côté de l’édition: «Quelque 50.000 exemplaires pour Méditer: 108 leçons de pleine conscience (Les Arènes, 2010), de Jon Kabat-Zinn; 350.000 pour Méditer, jour après jour (L’Iconoclaste, 2011), du médiatique psychiatre français Christophe André.» Et encore «L’appli « Psychologies Magazine? », créée avec Christophe André, se maintient dans le Top 20 des plus téléchargées, et les cycles MBSR proposés à Paris et en province affichent souvent complet. « Nous avons aujourd’hui 180 instructeurs affiliés à l’Association pour le développement de la Mindfulness », affirme sa présidente, Geneviève Hamelet.» Un phénomène qui divise. Certains, comme Mathieu Detchessahar, professeur au laboratoire d’économie et de management de l’université de Nantes, estiment que la pleine conscience ne renvoie «qu’à soi et à sa propre efficacité», qu’elle est «le dernier avatar, en somme, de l’individualisme marchand, (…) une pratique parfaitement adaptée à un monde décommunautarisé, désinstitutionnalisé, constitué d’individualités juxtaposées auxquelles l’on fait croire qu’elles ne peuvent attendre leur bonheur que d’elles-mêmes.» D’autres, comme le fameux Christophe André, jugente que «la pleine conscience n’est pas un nouvel outil de management pour mieux gérer son temps. Elle permet surtout de travailler son discernement, de distinguer l’urgent de l’important, de répondre avec attention plutôt que de réagir avec rapidité…» Dans le cas de la grossesse, il ne faudrait pas que la pleine conscience devienne un outil de gestion de l’anxiété et de la douleur qui dispense la communauté scientifique de contribuer à des avancées médicales pour alléger la souffrance des femmes et améliorer les conditions d’accouchement. Il ne faudrait pas qu’elle autorise à faire reposer uniquement sur les femmes elles-mêmes la responsabilité de la gestion de la douleur.