Le terrorisme face à la justice
Si l’on constate une légère aggravation des peines infligées pour une présence sur zone à la suite des attentats de 2015, force est pourtant de constater que jusqu’à présent la stratégie de criminalisation systématique initiée par le Parquet de Paris à partir d’avril 2016, ne s’est traduite que par un jugement devant la Cour d’assises spécialement composée. Il s’agit du dossier de la famille Garrido, dont les parents et les trois enfants ont été condamnés en leur absence à des peines de dix à quinze ans d’emprisonnement le 18 avril 2017. Le père et l’un de ses fils étaient apparus dans une vidéo de l’EI intitulée « What are you waiting for ?», dans laquelle ils brûlent leurs passeports français et exhortent les musulmans de France à rejoindre l’organisation terroriste et à commettre des actions violentes en France. Les contraintes liées à la faiblesse des preuves matérielles et à la nécessité d’un audiencement dans des délais raisonnables conduisent dans la plupart des cas le Parquet à privilégier le renvoi en correctionnelle d’affaires qui, en théorie, pourraient être criminalisées. Camille Hennetier, vice-procureur près le tribunal de grande instance de Paris et cheffe de la section antiterroriste du Parquet de Paris, évoquait à cet égard devant la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 « l’autocensure » du Parquet, indiquant qu’une « révolution » était à mener s’agissant de la Cour d’assises, car « si nous criminalisons les personnes partant sur zone, il faut que la Cour d’assises spéciale puisse suivre », précisant que celle-ci doit pouvoir « juger dans des délais plus brefs des individus ne comparaissant pas, sur la base de dossiers dans lesquels il y aura peu de preuves ». Ainsi au 15 mai 2018, 17 individus correspondant précisément aux critères définis par le Parquet, c’est-à-dire qu’ils étaient présents ou partis sur zone en janvier 2015 et qu’ils avaient combattu dans les rangs d’organisations terroristes, parmi lesquels 6 revenants, ont été jugés par le tribunal correctionnel, alors que leur cas aurait pu être criminalisé, ce qui aurait permis de tripler la peine maximale encourue par ces personnes. Inversement, depuis le début de l’année 2018, 2 procès aux assises ont concerné des individus ayant rejoint l’EI et combattu dans ses rangs, mais qui avaient regagné le territoire national avant janvier 2015. De même, le Parquet a demandé la correctionnalisation d’affaires impliquant des individus ayant participé à des exactions ou à des projets d’attentats. En pratique donc, le Parquet de Paris procède à une appréciation au cas par cas s’agissant de l’opportunité d’attraire des personnes devant la Cour d’assises spécialement composée, la qualification délictuelle pouvant toujours être conservée. Il convient cependant de s’interroger sur l’adéquation entre, d’une part, l’alourdissement des peines en matière d’association de malfaiteurs terroriste par le législateur et, d’autre part, la réalité de la politique pénale et des moyens de la justice.